Le pouvoir des mots genrés du droit (projet de Thèse)

[Extraits de la première version du projet de thèse d’Elena Mascarenhas]

Présentation

     Le constat suivant lequel les mots du droit de la filiation « père » et « mère » sont systématiquement brandis pour faire obstacle à l’évolution de la binarité sexuée et genrée (Catto et Mazaleigue-Labaste 2021: 19, Mesnil 2021: 204) fait apparaître leur capacité non pas seulement à énoncer la règle de droit, mais à faire droit en faveur d’un ordre social (Mascarenhas 2021). Dépassant l’idée que la langue juridique éclairerait simplement l’état des relations de genre dans un effet de miroir, et examinant les liens entre les mots genrés et un droit genré (Hennette-Vauchez, Stéphanie, Marc Pichard, et Diane Roman 2014), ce projet de thèse interroge le pouvoir des mots genrés du droit français : les effets juridiques et extrajuridiques de ces mots sur les sujets de droit, les mécanismes par lesquels ils déterminent le droit malgré les juristes et les sujets de droit, mais également la mesure dans laquelle ils participent de l’évolution juridique et sociale en matière de genre.

Problématique

Emergence du projet : un contexte ambivalent à l’égard du rôle des mots genrés

     Juristes comme philosophes reconnaissent la nécessité de l’analyse du droit au prisme du concept de genre en vue de penser les mécanismes de pouvoir et de domination du genre « entérinés ou, au contraire, déjoués et corrigés, par la norme de droit. » (Hennette-Vauchez, Pichard et Roman 2014: 13). Or, si la langue juridique française ainsi que les énoncés érigés à partir d’elle sont le prisme principal par lequel le droit est produit (Amselek 2012), comment ne pas envisager une certaine prégnance de la langue juridique dans la détermination d’un droit genré ? Il s’agit d’appréhender le rôle des mots dans une application du droit qui serait binaire, différenciée et hiérarchisée entre femmes et hommes, sans égard pour des identités alternatives (non-binaires), mais également leur rôle dans l’évolution des normes juridiques genrées.

     L’attention portée précisément aux mots genrés du droit prend pour point de départ la Controverse des « droits de l’homme » qui alerte sur l’insuffisance dudit masculin générique pour représenter les femmes en droit, tout en soulignant l’intérêt de l’emploi de mots féminins pour les y inclure et les rendre visibles. Suivant cette perspective, le mot genré au masculin est porteur d’exclusion citoyenne, le mot au féminin porteur de droits et garde-fou contre leur éviction. Après que la portée des mots masculins ait été mise en question, c’est celle des mots féminins qui interroge aujourd’hui dans la mesure où des hommes prétendent à des droits subjectifs reposant sur des énoncés dont les mots sont féminins ou réfèrent aux femmes. Ce point a fait l’objet de grands désaccords et d’une couverture médiatique importante à l’occasion des débats sur les projets de lois de bioéthique en septembre 2019[1] : la question était de savoir si les mots « femmes » incluaient les hommes trans comme personnes pouvant présenter des ovules (Mesnil: 206). L’enjeu linguistique était d’ouvrir sur la possibilité d’un « féminin générique » en droit français (expression reprise à l’analyse du droit canadien par Lessard et Zaccour 2017: 253). La portée de ces mots genrés au féminin a-t-elle cependant pu être pensée et anticipée lors de leur premier emploi ? Encore faudrait-il pouvoir déterminer celui-ci, en déterminant au préalable la limite d’une telle investigation : dans la structure juridique stricto sensu (puisse-t-elle être délimitée) ou ou plus largement sociale ? Peut-elle même être fixée ? L’étude des mots genrés rejoint de cette manière le problème de la capacité anticipatrice du droit (Mascarenhas 2021: 71) : comment penser juridiquement un homme enceint si cette figure n’est pas présente de manière notable dans d’autres structures sociales lorsque les mots sont énoncés en droit pour la première fois ou codifiés ? Comment rendre compte de mots qui nous reviennent peut-être historiquement, mais dont le sens, l’application, et plus largement l’effet nous échappent ? Si la forme dudit masculin générique est insuffisante pour parler des sujets de droit, et si la forme féminine qui lui est parfois apposée (formant ainsi la « parité linguistique » (Baurens 2005: 364)) protège juridiquement les femmes tout en conservant une capacité exclusive, alors on peut s’interroger sur le maintien de mots genrés, sur leur pertinence au regard de leurs effets non anticipés qui feraient droit sans juristes ni sujets de droits. Ce questionnement rejoint donc l’idée que les distinctions dans une langue ne sont pas anodines, comme le montre par exemple le principe linguistique classique d’économie du langage (Saussure 1996). Mais comment appréhender les distinctions de genre dans la langue juridique, la variété de ses mots genrés ?

     Qu’entendre même par « mot genré » ? Plusieurs axes de définition et de compréhension de leur pouvoir semblent ouverts. S’agit-il toujours d’une marque de genre perceptible au plan grammatical, ou d’un élement parfois plus implicite dans la référence du mot ? Dans quelle mesure le pouvoir des formes grammaticales inclusives et non-inclusives (ex : masculin générique, parité linguistique) se rapproche-t-il de celui des mots qui réfèrent au genre (ex : « la femme enceinte », « sexe neutre », « non-binaire ») ? Doit-on également penser un axe d’analyse différent entre le pouvoir des mots genrés qui présentent des formes neutres ou communes à tous les genres, (ex : forme épicène, « sexe neutre », « non-binaire ») et ceux qui donnent un nom et une visibilité explicite à ces genres (ex : parité linguistique, « la femme salariée ») ? Dans les structures juridiques francophones du Canada, le genre des mots est analysé suivant la typologie suivante : on distingue le masculin générique, la parité linguistique, la rédaction épicène et même le « féminin générique » et le point médian (Lessard et Zaccour 2017: 253) ? Trouve-t-on ces mêmes formes en France, avec des enjeux identiques ? L’idée du caractère genré du droit est également à travailler : renvoie-elle à une forme de binarité (femme-homme), à une différence (de quelle nature ?), à une catégorie (sur quels fondements ?), à la production d’identités ? Si le droit français est pensé comme structure sociale avec ses normes de reconnaissance (Bourdieu 1986, Ambroise 2011, Butler 2006, Haslanger 2012, Mascarenhas 2021), l’analyse des distinctions de genre enracinées au niveau linguistique se borne-t-elle à penser une attribution distincte des droits selon les sujets, ou bien s’attache-t-elle à comprendre un ordre juridique de genre qui promeuve des distinctions identitaires comprises davantage comme un « scénario » que comme une « carte »[2] (Haslanger 2012, 88), comme le défendent certaines ontologies sociales (Butler 2006, Haslanger 2012, Mascarenhas 2021: 45-47) ? Tous les mots genrés doivent-ils être interrogés suivant la même grille d’analyse ou se répercutent-ils de manières différentes sur ces différents caractères genrés du droit ?           

Une problématique au prisme des théories du pouvoir du langage

      En somme, l’examen des énoncés juridiques devra permettre d’affiner la notion de mot genré suivant son rapport au droit (et réciproquement) : la variété de mots genrés est-elle fonction de l’objet du droit (des conséquences précises recherchées dans une situation juridique donnée) ? Relève-t-elle d’explications plus arbitraires telles que les habitudes de langage (Constable 2014) ou l’« éventail » spatio-temporel de la création du droit (Amselek 2012:459) ? Les travaux philosophiques sur le pouvoir du langage nous permettent de rappeler qu’un acte de langage, notamment le choix volontaire ou non des mots, peut avoir des effets sur la réalité juridique, même sans intention expresse, avec, sans ou malgré leur conventionalité (Constable 2014:34), et avec des conséquences non anticipées, que l’on se place dans une approche conventionnelle de l’acte de langage (Austin 1973) ou dans une approche davantage orientée vers la performance (Butler 1997). N’est-ce pas précisément ce qui permet d’ouvrir sur une forme d’agentivité des sujets de droits (Butler 1997) ? La marche de manœuvre des individus peut même être considérée comme double dans la mesure où non seulement le droit peut s’appliquer incorrectement, mais l’acte de langage peut également échouer (Constable 2014:46). Si l’efficacité des énoncés juridiques dépend notamment des conditions institutionnelles (Constable 2014:41‑42), elle dépend également de la dualité de l’acte de langage : il faut des locuteurs·rices qui énoncent et des interlocuteurs·rices à l’écoute, ce qui exige de s’en remettre à l’analyse de la langue et du discours des deux parties (Constable 2014:42). Qu’en est-il aujourd’hui de l’efficacité des énoncés juridiques qui en appellent au sens commun de termes genrés tels que « citoyens » et « citoyennes », ou « père » et « mère » (Moron-Puech 2018) ? Est-elle affectée par le fait que des hommes reconnus comme tels à l’état civil demandent à bénéficier des droits des « femmes » ? Comment interpréter les énoncés alternatifs qui voient le jour sous des formes dégenrées dans la jurisprudence sous les termes « intersexe » ou « sexe neutre » (ex : Cour de cassation – Première chambre civile. 4 mai 2017. Arrêt, n° 531 (16-17.189)) par exemple ? Le langage ordinaire devra être analysé de paire avec la langue spécialisée juridique dans la mesure où le droit est une structure jusque dans laquelle le discours populaire est porté, notamment par la voie des juridictions (Constable 2014). De cette manière, nous pouvons rejoindre ce que Sally Haslanger conceptualise comme des interactions entre les structures sociales du monde humain (2012). En effet, la reconnaissance croissante d’orientations et d’identités de genre affecte le droit  peut-être jusque dans la compréhension des énoncés juridiques (Mascarenhas 2021), et ainsi dans les effets qui en découlent. Nous en venons donc à envisager l’efficacité d’énoncés et actes de parole alternatifs (emploi de mots genrés différemment, de néologismes, de différentes formes linguistiques d’inclusivité binaires, non-binaires voire dégenrées) sur la réalité juridique, et l’examen des voix qui peuvent y prétendre, ainsi que les stratégies subversives qui peuvent en découler : renversement (Wittig 2013b, 2013a), resignification (Butler 1997, 2006) ?

     C’est dès lors une démarche interdisciplinaire que nous proposons, croisant les apports de la philosophie du langage et de la linguistique, de la philosophie du droit et du droit, mais également de la philosophie politique et sociale.

Etat de l’art

Les recherches sur les mots genrés à l’international

     Quelques travaux de rhétorique juridique ou relatifs à l’influence du choix des mots du droit sur son application ainsi que sur les inégalités ou autre questions de genre ont déjà été menés. En particulier, les analyses jurilinguistiques de Michaël Lessard et Suzanne Zaccour (2017, 2021) présentent une typologie des formes linguistiques non-inclusives et inclusives observables en droit canadien francophone et appellent au « « dégenrage » des expressions juridiques » (2017: 251). Si cette typologie peut constituer une première grille de lecture pertinente dans le cadre d’une analyse de droit comparé, elle demande à être ajustée à la structure française dans laquelle les institutions demeurent moins extensives et créatives dans la prolifération de formes inclusives par rapport au Québec notamment (Moron-Puech, Saris, et Bouvattier, 2020). Précisions que ces travaux se retranchent trop fréquemment dans une conception binaire du genre pour qu’il soit fait état des enjeux non-binaires de manière rigoureuse. Un cadre binaire, encore plus prononcé, peut s’observer dans la plupart des analyses universitaires et institutionnelles qui ont approché les questions de genre, de langue et d’inclusivité dans les systèmes juridiques francophones, avec peu ou pas d’égard pour des identités de genre non-binaires pourtant reconnues dans certaines structures sociales (Mascarenhas 2021). Rappelons que les approches constructivistes du genre qui s’essayent à l’analyse des cas d’identités de genre non-binaires sont particulièrement dénigrées sous couvert de l’appellation de « constructivisme radical », ce qui empêche de prendre sérieusement et suffisamment en compte la variété des identités de genre. Bien que non fermés·es à l’idée, de nombreux·ses théoriciens·nes constructivistes du genre ne traitent finalement pas directement de cette diversité. On peut par exemple citer les travaux remarquables de Sally Haslanger qui reprend certes l’analyse de Judith Butler sur la construction de la binarité tant du genre que du sexe, mais davantage pour souligner l’origine de la construction sociale de la différence femme-homme que pour prendre en compte d’autres identités de genre (Haslanger 2012:151‑152).

Les recherches sur les mots genrés du droit français

     Quant aux travaux français qui s’intéressent aux mots genrés, ils prolifèrent depuis la diffusion de l’ouvrage sur l’écriture inclusive rédigé par l’historienne Eliane Viennot (2014). On peut s’étonner que les mots genrés du droit ne soient pas davantage questionnés lorsque l’on sait que les déclarations de 1789 et de 1948 (version française) figurent parmi les objets initiaux et majeurs des débats sur l’écriture inclusive. L’ambiguïté et l’exclusivité de l’expression « droits de l’homme » étant vivement dénoncée (Viennot 2014, Franck 2020, Lessard et Zaccour: 246 et s.), la pérennisation de cette expression a même provoqué la naissance d’un collectif dont l’objet unique est lutter contre elle. Le cas de l’expression « droits de l’homme » est même critiqué au plan institutionnel, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dénonçant une « logique linguistique discriminatoire »[3], et a tout de même permis de porter publiquement la question de savoir si l’histoire et la consécration de mots genrés au masculin suffisait à en justifier le maintien au cours du temps (Viennot 2014, Franck 2020, Lessard et Zaccour: 246 et s.). Toutefois, la démocratisation de la question de l’écriture inclusive n’a semble-t-il pas continué dans la voie juridique. Les autres mots genrés du droit sont laissés pour compte, et ceux interrogés par ailleurs dans d’autres structures sociales laissent majoritairement place à une critique binaire. Les limites du carcan binaire de la langue française au regard de la diversité grandissante d’identités de genre se font cependant connaître avec la diffusion de la Grammaire du Français Inclusif (Alpheratz 2018) en France mais également dans d’autres régions francophones ou anglophones, mais une fois de plus, sans soulever directement les enjeux juridiques.

     En droit, l’axe du genre demeure principalement analysé au prisme de la notion de catégorie, trop peu sous l’angle d’identité (Hennette-Vauchez 2016), sans s’arrêter sur le rôle que peut y jouer la langue. Quant au récent ouvrage sur la binarité juridique de genre codirigé par Marie-Xavière Catto et Julie Mazaleigue-Labaste (2021), il effleure la question des mots de la filiation sans creuser la prégnance de la langue juridique dans la détermination du droit genré, ni ouvrir sur la question de son inclusivité. Ayant interrogé nous-même la pertinence des catégories juridiques en droit (Mascarenhas 2020a), nous avons fait le constat d’un manque au plan de la langue juridique dans son ensemble (Mascarenhas 2020b). Ce détour linguistique nous a permis de poser nos premiers questionnements avec précision concernant le rôle de la langue juridique dans un point de vue croisant sociologique, juridique et linguistique.

     La thèse que nous envisageons pourrait en définitive constituer une réponse à l’appel lancé par le professeur en droit Benjamin Moron-Puech (2020), spécialiste en droit des minorités genrées et sexuées, qui constate la chose suivante : si plusieurs auteurs·rices ont entendu « passer ainsi le droit français « au crible de l’analyse du genre », l’« on aurait pu souhaiter l’ajout » de deux analyses, « [u]ne sur la prise en compte d’un modèle non binaire du genre et une autre sur la langue inclusive, pour que la langue soit servante du fond. »[4].

     Dans le prolongement des travaux suscités, nous envisageons une recherche qui articule ces analyses manquantes dans un cadre constructiviste non tenu à un carcan binaire du genre et qui mette l’accent sur le rôle particulier du genre des mots en droit. L’objectif est de développer une analyse spécifiquement dédiée aux mots genrés de la langue du droit français. Elucider les tenants de la participation de ces mots au caractère genré du droit permettra de contribuer directement à des questions juridiques d’ordre national (ex : offrir un cadre de lecture jurilinguistique aux débats sur les lois de bioéthique) et international (ex : présenter une perspective comparatiste du droit français en appréhendant sous un angle jurilinguistique les questions que posent le droit comparé (Suisse, Luxembourg, Québec, Ontario, et éventuellement certaines structures juridiques non-francophones) concernant la reconnaissance à l’état civil d’identités ni homme ni femme : comment faire dans une structure juridique théorisée comme intrinsèquement liée à la binarité de genre (Cardi et Devreux 2014) et dont le français ordinaire est binaire (Alpheratz 2018) ?).

Enjeux

     Interpréter l’évolution de la réalité juridique au prisme des théories du pouvoir du langage permet de soutenir que le refus de l’adaptation des mots et des règles juridiques binaires en termes de genre, tel que demandé par certains mouvements féministes et queer, ne revient pas seulement à un état de passivité : il s’agit d’une validation du droit en vigueur (Amselek reprenant Hobbes dans Le Léviathan (Amselek 2012:513‑14)), c’est-à-dire d’une performance à l’identique, d’une reproduction. De cette manière, il est possible de concevoir la langue comme un carcan binaire qui freine l’évolution du droit pour prendre en compte les évolutions sociales hors du droit français concernant l’orientation et à l’identité de genre. Plus encore, la langue se verrait incomber le rôle de limitation de l’imaginaire, c’est-à-dire d’une réalité juridique autre (Moron-Puech, Benjamin, Anne Saris, et Léa Bouvattier. 2020). La langue juridique devient la limite de la réalité du droit : un homme enceint ne peut exister, car le terme « enceint » n’existe pas, tout au moins dans des usages courants et normés de la langue française (il se rencontre néanmoins dans certaines variétés du français tel que repéré dans les milieux queer (Alpheratz)). C’est que, présentée comme allant de soi, la langue juridique masque son caractère socialement construit : Marianne Constable montre qu’aux Etats-Unis, les revendications de droit dans les écrits et les opinions des juges, lorsqu’elles sont traitées comme seule articulation entre énoncés de faits et application de règles, induisent en erreur notre compréhension des actes de jugement et de dissidence (Constable 2014:49‑50), et cachent le caractère social de la langue juridique. Il y a toujours acte de langage. Interroger ce caractère naturalisé de la langue juridique permet de rendre compte de revendications sociales actuelles, incohérentes ou insensées en apparence, mais en fait révélatrices de l’imbrication du droit avec les autres structures sociales (Ex : « Une femme peut-elle être reconnue comme père de son enfant ? – Une personne non-binaire ou reconnue de « sexe neutre » peut-elle bénéficier de droits relatifs à la parité femme-homme ? »). Comment des droits en principe destinés à répondre à des objectifs d’égalité de genre en viennent-ils à contrevenir à ces mêmes objectifs, à participer de ce qui est dénoncé comme système sexiste, hétérosexiste (Wittig 2013a), et non-inclusif ? C’est bien qu’interroger la langue dans la perspective d’actes de langage, c’est considérer des actes juridiques qui nous échappent tant au plan de l’initiation de l’acte que des conséquences. Les brèches linguistiques, aujourd’hui en défaveur des personnes féminines, intersexes, trans, et non-binaires, peuvent également être considérées comme des brèches stratégiques dans lesquelles s’immiscer pour la société française et les législateurs et législatrices sur le manque d’égalité de genre au plan jurilinguistique. Le discours par le droit et sur le droit ne devient-il pas une démarche politique permettant de  mettre les questions de genre à l’ordre du jour sur la scène publique, donc d’ouvrir la voie à l’argumentation plutôt qu’au seul héritage de la langue juridique ? Dans le cas des hommes trans par exemple, une actualisation terminologique ne permettrait-elle pas de clarifier la lecture des droits liés à la procréation (Moron-Puech 2018) ? Si les questions d’égalité de genre et d’inclusion sont sous-jacentes à une telle actualisation, le problème qui s’ensuit est qu’un tel processus, en permettant de reprendre la main sur la détermination linguistique de l’application du droit, ne semblerait pas nécessairement avoir pour fin ni pour effet l’inclusion ni l’égalité de genre (Ex : les débats sur la procréation médicalement assistée au Sénat concernant les femmes en capacité de procréer se sont soldés par l’exclusion de l’accès aux hommes trans). Nous devons donc envisager différentes évolutions terminologiques, conceptuelles, et plus largement linguistiques. Nous devons également nous intéresser aux moyens qui portent un tel processus. En définitive, examiner le rôle de la langue dans le caractère genré du droit permet d’initier le processus l’actualisation jurilinguistique, celui-ci permettant de limiter l’arbitraire en redonnant la main au politique.

Bibliographie

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Mascarenhas Elena, Extraits du projet de recherche


[1] Assemblée nationale, Compte rendu intégral, Première séance du jeudi 26 septembre 2019, Y. Favennec Bécot. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/seance/2e-session-extraordinaire-de-2018-2019/premiere-seance-du-jeudi-26-septembre-2019

[2] Version originale : « classificatory schemes function more like a script than a map. » (Haslanger 2012, 88).

[3] Haut Conseil à l’Egalité. 2018. « “Droits humains” vs “Droits de l’Homme” : en finir avec une logique linguistique discriminatoire ». Consulté 20 mars 2O22. http://haut-conseil-egalite.gouv.fr/parite/actualites/article/droits-humains-une-expression-qu-il-est-temps-de-generaliser.

[4] Extrait d’un article du professeur de droit Benjamin Moron-Puech (2020), commentant les travaux recueillis dans l’ouvrage La loi et le genre (Hennette-Vauchez, Pichard, et Roman 2014).