L’avortement: droit des FEMMES ou droit HUMAIN ?

Envisager la reconnaissance et la protection du droit à l’avortement comme droit des femmes ou droit humain : du pareil au même ?

En réaction à la décision de la Cour Suprême Américaine de ne plus protéger le droit à l’avortement comme droit fédéral (24 juin 2022)[1], le Haut Conseil à l’Egalité français demande à ce que le droit à l’avortement soit inscrit dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Une telle inscription ferait du droit à l’avortement un droit HUMAINQuelles différences avec une reconnaissance du droit à l’avortement comme droit des FEMMES ?

Quelques effets anticipés de la reconnaissance du droit à l’avortement comme:

  • Droit « des FEMMES »:
    1. Visibilité: La terminologie féminine visibilise le fait que les femmes portent majoritairement le poids (social, mental et corporel) de la grossesse, de la contraception etc.
    2. Une garantie féminine: Les femmes sont nommées, ce qui rend plus difficile de contester leur accès au droit à l’avortement. En revanche, la difficulté demeure pour les personnes qui ne sont pas reconnues comme « femme » à l’état civil (exemple: mention d’homme, « X », personnes trans, personnes non-binaires, sans mention, « neutre » (tel que reconnu dans d’autres structures juridiques)).
  • Droit « HUMAIN »
    1. Une préoccupation générale: La terminologie épicène « droit humain » fait du droit à l’avortement et des droits afférents (grossesse, contraception etc.) une préoccupation d’ordre générale, population, pas seulement une affaire féminine.
    2. Une garantie inclusive: Les personnes qui ne sont pas reconnues comme « femme » à l’état civil peuvent se prévaloir du droit à l’avortement en soulignant que le droit à l’avortement n’est pas réservé aux femmes mais bien reconnu à l’humanité (toute personne quel que soit son genre). Les hommes, les personnes trans, les personnes non-binaires, les personnes ayant à l’état civil une mention « X », « neutre » ou sans mention de genre/sexe auraient donc un accès (relativement) plus facilité à l’avortement. Amnesty Internationale estime par exemple qu’une terminologie épicène permettrait d’éviter que les centres de santé refusent l’accès à l’avortement à des personnes enceintes en raison de critères sexués ou genrés (ce qui se produit parfois aujourd’hui). L’association préconise ainsi de parler de « personne enceinte », et non seulement de « femme enceinte ». Les chiffres binaires 1 ou 2 apparaissant sur la carte vitale française ne seraient plus un prétexte pour faire entrave à l’accès aux soins.
    3. Une garantie juridique renforcée: La notion de « droit humain » (et parfois de « droit de l’homme ») bénéficie d’un statut juridique particulier. En effet, les droits humains font l’objet d’une attention et d’une protection renforcée ou d’une influence spécifique par rapport à d’autres normes juridiques, que ce soit au niveau national (exemple français : Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen) et international (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne).

L’usage de mots genrés (« droits des femmes ») ou moins genrés (« droits humains ») en droit n’a encore une fois rien d’insignifiant.

Les mots genrés ou non-genrés peuvent affecter la réalité juridique, parfois la déterminer jusque dans ses normes : ils influencent l’attribution des droits subjectifs, leur répartition (en fonction du genre ou quel soit le genre), mais également les possibilités de reconnaissance des identités juridiques sexuées et genrées (identité de genre binaire, non-binaire, agenre).

Le choix terminologique entre « droit des femmes » et « droit humain » pour qualifier le droit à l’avortement soulève donc des enjeux de l’ordre du droit, de la justice, de la procréation, mais également des enjeux sociaux identitaires (construction sociale de l’identité sexuée et genrée) et matériels (concernant les normes corporelles, les possibilités qu’ont les corps : avorter ou non).


[1]  Dans une décision du 24 juin 2022, la Cour Suprême des Etats-Unis annule le célèbre arrêt de principe Roe vs Wade (1973) qui permettait de reconnaître le droit à l’avortement à l’échelle fédérale.